18/01/2014
un Requiem allemand, 1986 ou la nuit de la méduse
Requiem allemand de Brahms : 6 ème mouvement Denn wir haben hie keine bleibende Statt extrait
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Depuis des années, un requiem allemand me poursuit, me hante, par son déploiement d’ailes au-dessus de la clameur, comme les gouffres, le précipice, suivent celui qu’ils savent sujet au vertige ! Le souffle ténébreux, l’essor de son ample partition, m’élève aux horizons vides sans pensée, consolation ni promesses ! Mais pas les psaumes, le régiment des chœurs, les poupées peintes de nos paniques, ce camouflage verbalisé de notre honte et l‘hymne insomniaque, dont nous abreuvons le silence d’un dieu, mis en scène par l’espérance, notre faute la plus grande, après l’illusion puérile de durer et l’abandon de notre liberté !
« Un requiem humain » disait Brahms ! Et jamais depuis, l’homme n’a mieux montré jusqu’où pouvait aller, sans fin, l’horreur collective de détruire, où notre hubris fait basculer l’harmonie du monde dans un tohu-bohu criminel par sa constante cruauté et la féroce gloire de se vautrer dans l’or ! La solution finale ne fait peur à personne, même si l’on sait que l’énergie noire dévorera la matière sombre jusqu’à l’extinction totale des soleils.
Il fait froid, et déjà sombre, ce soir de févier 1986, quand je me présente devant les grilles cadenassées de la villa où se tint en 42 la conférence de Wannsee ; depuis la gare, d’où je suis venu à pied, la neige a effacé mes pas ; je suis seul, dans un quartier bourgeois aux volets clos, où les chiens aboient comme hurlent des loups. Mon père, quarante ans plus tôt, invité lui aussi, roulait dans une berline officielle ; on salua militairement sa visite ; le Litterarische Colloquium Berlin m’attend demain pour une lecture traduite et publiée par Hitzerroth verlag de Quoique mon cœur en gronde ;personne n’est venu à ma rencontre…
Maintenant, Il fait presque nuit. On ne voit pas le lac ; on le sent proche. On imagine, sur le miroir éteint de l’eau noire, la lente, la légère, l’enveloppante avalanche oblique des flocons, traversée par les derniers hérons cendrés…Le Japon venait d’entrer en guerre ! On avait trouvé un piano à queue intact dans les faubourgs en ruines de l’hiver russe ; dans le désert cyrénaïque, des cornemuseurs en kilt, tête nue devant les troupes, couvraient les mitrailleuses, comme des oies sauvages qui à grands cris retournent au pays. On respirait mal dans l’U-boot en plongée sous les mines ! On respire mal dans la mémoire ! On meurt sur les mines du Mur.
Ne comptez pas sur les passants ! Les plus jeunes ignorent, les plus vieux préfèrent se taire ; entre les deux, ils ne descendront pas de voiture ; quelques femmes dont mon accent allumera les yeux, peut-être, plus tard…Mais leur demander un hôtel me semble impossible ; pourtant mes souliers de ville sont trempés, mon sac est lourd et j’aimerais dormir. On dit qu’au soir de la conférence Heydrich se permit un verre de cognac en compagnie des invités et que, de la terrasse, la vue sur les jardins et le vol des grands cygnes au-dessus du Wannsee était superbes. Il n’aurait pas été étonnant, qu’émus par l’alcool et le sentiment d’une victoire, ils chantent en chœur le Horst-Wessel lied ou Alte Kamarade.
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